Berceuses de l'errant
[...] Et le voilà finalement entrain de blanchir son Némésis, lui accordant raisons et sens...
Lui qu'il avais toujours voulu considérer mal, aussi abstrait que pur. Ce vouloir lui appartenait, prouvait son existence et le justifiait en tant qu'homme, si seulement pouvait-on encore le traiter de tel. Ou fut-ce seulement ce qui m'est apparut?
Il se reconnaissait des compagnons d'errance au fond d'un abime froid où vagues vont et ne savent comment revenir.
Il se reconnaissait des compagnons d'armes contre liberté et rêves. Il reconnais avoir cru les défendre...
Il ne se connaissait par contre nul compagnon, de tous ceux qu'un jour, ont connu un ciel de saphir et qu'y ont plongé un regard rempli de l'espoir de s'approprier un fragment de sa sublime clarté, à ne pas s'être réveillé, après mort, dans l'enfer de Dieu...
Serait-il bien le seul à s'être éveillé en son modeste enfer moisi?... Un enfer qui était son œuvre et sien... Sombre et silencieux comme l'est l'âme démente qui l'a engendré...
Il n'a guère la vigueur de ses semblables, ni l'endurance... et, prisonnier d'un corps trop petit pour toutes ses chimères, il s'est abandonné à une grisaille qui lui était, jusqu'à lors, inconnue...
S'est-il permis de blâmer le temps...
N'a-t-il fait qu'entamer une vie, dirait-on...
Mais qu'en saurait-on?
Douleur était si longtemps son nom, solitude, son prénom... Elles touchent l'esprit, comme le temps touche, de sa main flétrie, le corps...
On aurait toujours admiré sa simplicité doublée de puérilité. On le présumait heureux. On regardait si marginalement le masque qu'il portait d'un tel naturel, mais on ignorait la profondeur de l'horreur que cache ce doux visage d'enfant...
Aujourd'hui, le temps a scellé ces yeux à travers lesquels on aurait pu voir ce que cachait ce masque, voir ce qu'a été fait de lui. Fleur dont la beauté n'est plus que traces sur de fantomatiques pétales.
[...] « Plus là », ou c'est peut être lui qui n'est plus parmi eux...
Il avait de l'estime pour sa petite personne si glorieuse, mais nullement le courage de l'afficher...
Les souvenirs de toutes les larmes qu'il a versé foisonnent par moments depuis lors... Des larmes de mépris de celui qui fit fi de l'existence toute entière, le jour où il crut perdre la sienne...
Et, aujourd'hui encore, l'envie de pleurer lui revient à chaque instant où il y songe, mais, hélas, il fut long le temps depuis que l'essence de ses paupières eu fini par tarir...
Fraiche fut la nuit précédente et humide, ça l'importuna, mais la matinée promettait...
Un petit zéphyr caressait les rideaux satinés de sa fenêtre, tendre, maternel... Il se brisait sur le mur contre lequel il s'est adossé en faisant dandiner ses cheveux et lui chantait en secret les mélodies du matin...
Dans le couloir, on parlait d'une belle aube automnale, avec le cuivre de ses feuilles, la grisaille de ses murs et le sobre de son âme... Mais son regard perdu ne voyait que ces gribouillis sur les feuilles d'un vieux livre d'archive là où on a eu l'habitude de noter un petit mot après avoir quitté cette maisonnette qui a toujours accueilli de nouveaux habitants... Ils lui parlent des anciens occupants.
Leurs histoires n'importaient guère à ses yeux qui parcouraient les lignes d'une lenteur lasse, son esprit vacillait et chavirait, de temps en temps, dans la mer de débris qu'est le chaos de sa mémoire...
Quoiqu'il n'eut pas trouvé cette poignée d'années haïssable, son cœur se tordait d'une haine résiduelle...
Vieux cumul d'épisodes passés a accompli ce que la quiétude n'a pas. Il s'épuise dans son abime, pansant les blessures de son cœur. L'insensé, il se fatigue à battre encore et encore, simplement pour prolonger sa souffrance et la sienne...
Il ne dormait plus sans cauchemarder, ni d'ailleurs se tenait-il debout sans sentir les démons qui l'habitaient le poignarder de l'intérieur...
Je ne sais pas si c'est l'ordonnance des choses, ou est-ce simplement la chance qui a fait qu'il sois tel qu'il est devenu...